Dans cet ouvrage paru en juillet dernier je présente une synthèse de mes recherche, enseignements et interventions sur le thème du leadership stratégique, i.e. le leadership dans le contexte particulier de la direction d'entreprise
Le pari que je me suis fixé: parler à la fois aux académiques en présentant une synthèse des dernières théories et résultats scientifiques sur ce thème, et aux managers en proposant des cas, des exercices et des recommandations pour renforcer leur pouvoir, cultiver leur légitimité et développer leur leadership personnel
C'est pourquoi le livre est sous titré: l'art et la science de le direction d'entreprise
Voici quelques extraits de l'introduction....
Apple survivra-t-elle à la
mort de Steve Jobs, son fondateur visionnaire ? Le grand public connaîtrait-il
Oracle sans la personnalité à la fois charismatique et narcissique de Larry Ellison ?
Quels seraient aujourd’hui le métier et l’envergure de la Compagnie générale
des eaux si elle n’avait pas croisé l’ambition démesurée d’un Jean-Marie
Messier ? Enron, Lehman Brothers, Bear Stearns auraient-elles échappé à la
faillite sans l’hubris de leurs dirigeants ? The Body Shop et
la FNAC ont-elles perdu leurs âmes le jour où Anita Roddick et André Essel, ces
deux entrepreneurs charismatiques et militants, décidèrent de vendre l’entreprise ?
Diriger une entreprise, à
l’évidence, n’est pas qu’une affaire de stratégie, d’organisation, de flux, de
ratios, de processus ou encore de règles et de codes. C’est aussi et surtout
une activité proprement humaine. Elle se nourrit de la personnalité, des représentations
et des comportements de ceux qui lui donnent vie et la font avancer, au premier
rang desquels ceux que nous désignons sous le terme « dirigeants
d’entreprise ». Nous le savons bien,
nous qui sommes si prompts à extrapoler sur la personnalité de ceux qui nous
dirigent. Mais au prix de combien de simplifications et de jugements à l’emporte-pièce,
souvent très éloignés de ce que vivent effectivement les dirigeants d’entreprise
ou de ce que mesurent précisément les chercheurs en management ou en
psychologie qui les étudient ? Il faut bien l’avouer, nos connaissances et
nos analyses ne sont pas toujours à la hauteur de notre fascination et de l’importance
du « facteur dirigeant » dans le devenir de l’entreprise…
Dans cet ouvrage, vous
appréhenderez ce que laissent habituellement de côté les contributions
académiques sur la stratégie ou la gouvernance d’entreprise, à savoir l’exploration
scientifique et pratique des comportements observables au sommet de l’entreprise.
Nous nous focaliserons en particulier sur les comportements d’influence,
c’est-à-dire de leadership de la figure principale du pouvoir dans l’entreprise :
le dirigeant. Vous trouverez ici une contribution sérieuse et originale sur le
leadership personnel, le pouvoir et la légitimité des dirigeants d’entreprise
français. Cette contribution, nourrie de travaux de recherche récents et de cas
pratiques, ira parfois à rebours du sens commun et du récit médiatique
habituels, mais elle vous permettra de mieux comprendre et de vivre les
dimensions humaine et politique de la direction d’entreprise et au-delà, de la
condition de dirigeant.
Quelques précisions
terminologiques s’imposent, avant de poursuivre : par leadership personnel nous entendrons ici la capacité d’un individu (le leader) à
influencer un groupe d’individus afin d’atteindre un objectif ou un but commun.
Dans ce cas précis, l’individu est le dirigeant, et le groupe d’individus
l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise. Du point de vue du dirigeant,
le leadership est à la fois l’un des rôles qu’il doit jouer dans le cadre de sa
fonction (il est celui qui incarne l’autorité et influence les parties prenantes
externes et internes pour permettre à l’entreprise de réussir) et une qualité
ou une capacité dont il doit faire montre dans d’autres rôles clés où la
dimension interpersonnelle prévaut (décider, engager la transformation,
résoudre les crises et les conflits, etc.). Cette qualité ou capacité dépend de
la personnalité du dirigeant et s’exprime à travers ses comportements et
décisions quotidiens. Mais, elle dépend également des ressources dont il
dispose pour agir et qui conditionnent l’exercice et le développement du
leadership. Par pouvoir, nous désignerons l’ensemble des ressources matérielles et symboliques dont dispose un
individu pour agir au quotidien. Dans cette perspective, le pouvoir
apparaît comme une ressource stratégique pour l’exercice du leadership :
nécessaire au plus haut niveau, elle n’est cependant pas suffisante pour
entraîner effectivement l’adhésion et la confiance des parties prenantes,
en particulier si la nature et l’exercice du pouvoir ne sont pas reconnus comme
légitimes. Par légitimité, nous désignerons ici la reconnaissance par les parties prenantes du
droit du dirigeant à gouverner l’entreprise. Cette reconnaissance est
morale dans la mesure où elle dépend de la validation par chaque partie
prenante de l’exemplarité du dirigeant au regard du référentiel de normes et de
valeurs que ceux-ci associent à la direction d’entreprise et ses figures
majeures.
Les problématiques du
leadership, du pouvoir et de la légitimité du dirigeant constituent ainsi le
cœur du leadership stratégique. Un pouvoir suffisant et reconnu comme légitime
est une condition nécessaire à l’exercice du leadership personnel : sans
pouvoir d’action, sans légitimité, le dirigeant ne pourra pas exprimer son
leadership efficacement.
Le leadership personnel se
déploie à tous les niveaux de l’entreprise, mais, dans cet ouvrage, je vous
propose de découvrir celui-ci dans un contexte particulier, celui de la
direction d’entreprise. Dans les pages qui suivent, nous parlerons ainsi de
leadership stratégique pour
désigner l’ensemble des connaissances et
des pratiques relatives à l’exercice du leadership à un niveau stratégique de l’entreprise
(comités de direction). Le leadership stratégique est abordé ici à la fois
comme un champ de recherches scientifiques (visant la compréhension des
caractéristiques des dirigeants d’entreprise et leurs effets sur la réussite de
l’entreprise) et un aspect de la pratique managériale (l’exercice au quotidien
du leadership par les dirigeants d’entreprise). Ces connaissances et ces
pratiques en matière de leadership stratégique intéresseront dès lors aussi
bien les académiques et les étudiants souhaitant approfondir leur connaissance
du management stratégique et de la direction d’entreprise que les dirigeants
d’entreprise eux-mêmes et ceux qui les conseillent ou les forment au leadership
et à l’exercice du pouvoir.
Au fil des pages, nous garderons
à l’esprit ces deux dimensions en explorant ce que nous appellerons l’art et la science du leadership
stratégique. La science du leadership stratégique désigne la
compréhension intellectuelle du leadership, un exercice de réflexion et de conceptualisation
nourri par les travaux scientifiques issus de la recherche en sciences de
gestion et en psychologie sociale. Ces travaux étudient rigoureusement, et depuis
près de 100 ans, l’exercice du pouvoir de direction dans les
organisations. L’art du leadership stratégique, désigne, quant à lui, la pratique managériale du leadership à un
échelon stratégique de l’entreprise, un exercice parfois virtuose de compétence
et d’expérience, nourri de l’exemple de ceux et celles qui ont eux-mêmes dirigé
et qui nous inspirent au quotidien.
Cet ouvrage se propose
ainsi d’explorer et de faire dialoguer l’art et la science du leadership
stratégique au fil d’un cheminement en trois temps : un premier temps est
consacré à l’analyse des conditions objectives du leadership stratégique (bâtir
son pouvoir pour diriger efficacement), un deuxième temps à celui de ses
conditions morales (cultiver sa légitimité pour diriger avec exemplarité) et un
troisième temps à la compréhension de l’exercice et du développement du
leadership personnel du dirigeant (développer son leadership pour diriger en
personne). Ces trois parties explorent successivement trois problématiques :
celle du pouvoir, celle de la légitimité et celle du leadership. Elles sont
composées chacune de deux chapitres : « la science de… » qui propose un état de la science à
travers la définition des concepts, une sélection de modèles théoriques utiles,
des résultats empiriques récents et l’approfondissement d’une notion clé, et « l’art
de… », qui offre une exploration de la
pratique managériale à travers des études de cas, des discussions, des
exercices d’autoévaluation et des recommandations pratiques.
Les concepts, les théories
et les pratiques proposés dans cet ouvrage sont principalement issus de deux
champs de recherche contemporains : le management stratégique, inhérent
aux sciences de gestion, et les leadership
studies, issus de la psychologie sociale et des sciences politiques. S’y
ajoutent des références empruntées à la psychologie positive, ce nouveau
courant de la psychologie scientifique.
Ajoutons que cet ouvrage
fait le choix de mettre en avant des cas et des résultats de recherches portant
sur des acteurs et des contextes français et européens, ce qui résulte d’un constat : l’absence de données sur le
contexte français dans un champ de connaissances et de pratiques où la majorité
des idées et des exemples sont nord-américains. Or, ceux-ci ne sont pas
toujours comparables et encore moins transférables à l’entreprise française ou
européenne, loin de là. Il s’agissait donc d’apporter un peu de diversité à des
ouvrages de management sur le leadership.
Le cheminement que nous
vous proposons ici ne pose pas ses pas uniquement dans ceux de la science, mais
également dans ceux des humanités et s’inscrit dans une tradition philosophique
particulière.
En faisant la distinction
entre l’art et la science du leadership, nous renvoyons l’écho d’une autre
distinction, dans le champ de la philosophie cette fois et que rappelle Pierre
Hadot, grand spécialiste de la philosophie
antique. Selon lui, pour comprendre ce que nous désignons par philosophie, il
faut distinguer le discours sur la philosophie de la philosophie comme manière
de vivre : « Le discours sur la philosophie n’est pas la
philosophie. […] Les théories
de la philosophie sont au service de la vie philosophique. […] La philosophie antique propose
à l’homme un art de vivre, au contraire la philosophie moderne se présente
avant tout comme la construction d’un langage technique réservé à des
spécialistes » (Hadot, 2002 :
293-295). À notre modeste mesure, nous reprendrons cette distinction, appliquée
à la direction d’entreprise en tentant autant que possible de faire dialoguer
le discours scientifique sur leadership stratégique avec l’art de vivre le
leadership. Ce dialogue est fondamental dans la construction du leadership :
l’action managériale ne peut se passer d’un questionnement intellectuel et d’un
effort réflexif sur elle-même. Inversement, une connaissance théorique
déconnectée de la pratique, dans ce qu’elle a de bon et d’efficace, mais aussi
de beau et d’inspiré, serait vaine dans une science appliquée comme le sont
supposément les sciences de gestion.
Ce n’est pas là le seul
emprunt que nous ferons à Pierre Hadot et à la philosophie antique, notamment
stoïcienne…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire