Vertus du cinéma et
cinéma des vertus
Comme
le philosophe Stanley Cavell, je crois aux vertus du cinéma, cette projection
du monde qui nous permet d’extérioriser, de vivre, de ressentir et de discuter
les valeurs et les normes de notre époque. C’est dès lors un véritable cadeau
que nous offrent les réalisateurs en faisant de l’entreprise un objet
cinématographique…
Prenons par exemple le
dernier film de Martin Scorcese, Le Loup
De Wall Street : je vois au moins 5 bonnes raisons d’étudier celui-ci dans
un cours d’éthique et/ou de leadership. L’occasion d’introduire les aspects les
plus complexes et polémiques du leadership et du pouvoir : son rapport à
la morale, au sexe, et à la folie.
5
bonnes raisons de voir et de discuter du Loup de Wall-Street
Un leader destructeur
Parce
que l’histoire de Jordan Belfort est celle d’un individu qui doit sa réussite à
sa maitrise de l’influence interpersonnelle et sociale. Une influence qui pose problème, puisque basée sur la
manipulation et le mensonge, mais s’avère redoutablement efficace et lucrative ;
Belfort est-il un leader ? Certains diront de lui qu’il est un leader
négatif ou destructeur (Position de L. Trévino et B. Kellerman), d’autres lui
refuseront le qualificatif arguant du fait que l’efficacité de l’influence ne
suffit pas, encore faut-il que la fin et les moyens soient éthiques (Position
de Ciulla). Discussion purement théorique ? Pas certain quand l’on connait
l’aura positive du terme « leadership »
Les ravages de l’hubris
Parce
que le Loup de Wall Street donne à voir la genèse et les ravages individuels et
collectifs de l’hubris (la démesure) dans les entreprises et notamment celles
du secteur financier. On retrouve chez Belfort ce que j’ai décrit dans mes
articles consacrés à la description de l’hubris du dirigeant :
surconfiance, narcissisme, sentiment d’impunité, etc Leonardo di Caprio met son
talent au service de l’ambivalence et de la séduction de son personnage nous
renvoyant à notre propre ambivalence face à la fascination qu’exerce
sur nous la dimension héroïque de ces personnalités destructrices
Grandeur et misère du
stéréotype du leader
Parce
que le Loup de Wall Street illustre jusqu’à la nausée le stéréotype du leader
dans ses dimensions masculine, dominatrice et égocentrique. Mauvaise nouvelle,
celui-ci a survécu aux années 90 et il ne concerne pas que la finance.
Des leaders sous
influence
Parce
que le Loup de Wall Street vient nous rappeler que le sexe et la drogue font
parfois partie de l’équation du pouvoir et du leadership. Face à des attentes
de rôles démesurées et des personnalités fragilisées faut-il s’en étonner ?
C’est l’autre histoire que raconte le Loup de Wall-Street et que l‘on
entend guère dans les classes des business School. Tout récemment, certains chercheurs
se sont attaqués à ce tabou et les premiers résultats sont peu rassurants
Fin de Projections
Parce que le Loup de Wall-Street nous renvoie avec style mais efficacité à nos petits arrangements avec l'éthique. Ainsi certains critiques reprochent-ils au réalisateur l’absence de condamnation
morale explicite et de prise de position personnelle. Outre une intéressante
projection psychologique, je trouve ce "procès" assez révélateur: Car enfin, soyons sérieux un instant, qui ne voit pas après 3 heures de film ou est le problème avec Jordan Belfort ??? et ce n'est pas "l'esthétisme" de la réalisation qui peut masquer cela ou alors, il y a un autre problème avec Jordan Belfort et ce n'est pas Jordan Belfort. C'est à mon avis ce sur quoi nous interpelle Scorcèse :
pourquoi restons nous là, assis confortablement, un brin émoustillé, un brin effrayé, à discourir avec détachement de
la morale des affaires ? En bon libéral, Scorcèse laisse le spectateur
face à sa propre responsabilité
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