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J. Westphal, Professeur de stratégie Ross Business School, Michigan University |
Dans cette étude, James Westphal montre que vouloir renforcer le contrôle du dirigeant par le conseil d'Administration, peut susciter, de la part des dirigeants, des stratégies d'influence qui, in fine, contribue à renforcer leur pouvoir mais si celui-ci est "structurellement" réduit.
Réforme de la gouvernance et pouvoir
du dirigeant.
Le mouvement
de réforme de la gouvernance d’entreprise amorcé dans les années 90 (1) a débouché
sur une nouvelle répartition des pouvoirs à la tête des entreprises notamment
des grandes entreprises cotées. Le pouvoir, et notamment le pouvoir de contrôle, de
l’actionnaire vis-à-vis du dirigeant a été renforcé et réaffirmé dans les
textes mais également dans les faits (1). Ainsi, il n’est pas rare aujourd’hui de
voir un conseil d’administration remercier un directeur général, ce qui pouvait
paraitre impensable il y a 20 ans : Souvenez-vous, en 2002, lorsque Jean-Marie Messier
fut poussé à la démission par le conseil d’administration de Vivendi Universal
au terme d’un bras de fer de plusieurs mois, ce n’était que la seconde fois qu’un
conseil du CAC 40 exerçait ainsi son pouvoir "ultime" de contrôle sur le dirigeant d’une
entreprise.
La lutte contre
« l’hégémonie managériale » et le renforcement du pouvoir
actionnarial sont clairement inscrits dans l’ADN du mouvement de réforme de la
gouvernance d’entreprise qui s’appuie sur une vision très particulière de la
relation actionnaire-dirigeant : celle véhiculée par la théorie de l’agence
(2) qui modélise la relation entre l’agent (le manager) et le principal (l’actionnaire)
comme une relation par nature conflictuelle (les fameux conflits d’agence) :
leurs intérêts seraient par trop divergents.
Les «bonnes pratiques de
gouvernance » qui vont ainsi être mises en avant par les textes de lois et
les codes de gouvernance de ces dernières années vont ainsi s’appliquer à
limiter le pouvoir du dirigeant (par exemple en séparant les fonctions de
Directeur Général et de Président), renforcer le pouvoir de contrôle du conseil
d’administration (par exemepe en renforçant son indépendance) et s’attacher à aligner les intérêts des dirigeants sur ceux
des actionnaires (au moyen par exemple de Stock options).
Les
chercheurs sont très partagés sur les bénéfices réels (sur la performance de l’entreprise
notamment) de ces « bonnes pratiques de gouvernance », mais aussi la
validité empirique de la théorie de l’agence ou encore sa vision pessimiste et
assez réductrice de l’entreprise et de ses acteurs que celle-ci véhicule (1) (3).
Dans une
étude réalisée en 1997/1998 (4) (5) sur un échantillon de 600 grandes entreprises
américaines, James Westphal, l’un des chercheurs les plus prolifiques dans le
domaine du leadership stratégique (étude des dirigeants d’entreprises) met en lumière la relative
improductivité des mécanismes de réduction du pouvoir du dirigeant…au passage il souligne à quel point la prise en compte du leadership du dirigeant (i.e. sa capacité personnelle d'influence) est au moins aussi importante que celle de son pouvoir formel ou structurel (celui que lui procure notamment sa position et ses fonctions dans l'organisation)
Les réactions des dirigeants face à la
perte de pouvoir
L’étude de
Westphal rappelle d’abord que la pratique actuelle de la gouvernance des
grandes entreprises repose sur deux piliers : premièrement, le
renforcement du pouvoir du conseil d’administration à travers notamment le
renforcement de son indépendance vis-à-vis de l’équipe dirigeante
et deuxièmement, la réduction du pouvoir du dirigeant. Selon Westphal, cette
pratique relève d’une approche « structurelle » du pouvoir. Une approche qui met de côté les comportements des
acteurs ou les déduit directement de la structure qui les enserre : ainsi,
selon les tenants de l’approche structurelle, l’indépendance du CA doit découler
de la modification mécanique de sa composition (plus d’administrateurs
indépendants i.e. sans lien contractuel avec l’entreprise) et la réduction du
pouvoir du dirigeant ( via la séparation des fonctions de Président et directeur
Général). Les liens informels, les comportements d’influence sont ainsi mis de
côté. Westphal, avec son étude les remet sur le devant de la scène…
Pourquoi un
CA indépendant, n’est-il pas puissant ?
Le point de
départ de son étude est une question posée par des travaux empiriques
antérieurs (Pettigrew, 1992 ; Walsh & Seward, 1990) qui montrent l’absence
de lien entre l’indépendance du CA et son pouvoir effectif contrairement à ce que promet le dogme de la gouvernance d'entreprise: comment
expliquer la contre-productivité de cette « bonne pratique » ?
Selon
Westphal, les dirigeants interprètent l’indépendance du CA comme un signal de renforcement du pouvoir du CA et perte de pouvoir potentiel pour eux: ils vont dès lors s’engager dans des
stratégies d’influence interpersonnelles compensant leur perte de pouvoir
potentiel vis-à-vis du CA.
Westphal
étudie plus spécifiquement deux stratégies d’influence : la persuasion et
la flatterie (ingratiation).
La persuasion consiste à emporter l’adhésion du CA
par la force de conviction : le dirigeant convainc sur l’intérêt pour le
CA de e suivre et de mettre en œuvre la stratégie qu’il propose (Persuasion involves the application of
reason or logic to "convince a
target that the agent's request or proposal is feasible and consistent with
shared objectives). Cette stratégie fonctionne d’autant mieux que le
dirigeant possède le talent, l’expertise et le projet nécessaires pour
convaincre.
La flatterie consiste à créer chez les membres du
CA le sentiment d’une proximité et d’une
appartenance commune qui va désamorcer toute action défavorable à l’endroit du
dirigeant (« Ingration encompasses a
set of influence tactics which serve to "increase one's attractiveness in
the eyes of a more powerful person"). Cette stratégie est particulièrement
utile au dirigeant qui ne possède pas d’arguments logiques et factuels et doit
miser sur le sentiment et le lien affectif avec les membres du CA.
Westphal a
ainsi étudié les stratégies de 221 CEOS américains, qu’il a mesurées à travers
des réponses à des questionnaires envoyés aux administrateurs indépendants de
près de 600 entreprises ainsi qu’aux CEOs
eux-mêmes.
Les
comportements de persuasion et de flatterie sont mesurés via des échelles
psychologiques, tandis que l’indépendance du CA est mesurée via des indicateurs
classiques (nombre d’administrateurs indépendants, séparation des fonctions de
DG/président ; proximité des administrateurs (formation, expérience) avec
le dirigeant). Westphal mesure également l’évolution de la rémunération du
dirigeant (fixe, variable, bonus).
Les résultats
montrent que lorsque l’indépendance du CA s’accroit, les comportements de
persuasion et de flatterie des dirigeants s’accroissent également. Westphal
montre également que l’accroissement de ces comportements d’influence est
positivement relié à des modifications de rémunération favorables au dirigeant !
Ce faisant,
Westphal suggère que les dirigeants substituent
l’influence au pouvoir structurel pour maintenir voire accroitre leur pouvoir
sur l’entreprise. Un résultat qui vient nuancer l‘efficacité et la simplicité
des mécanismes de contrôle.
Références
(1) Daily, C.M., Dalton,
D.R. and Cannella, A.A. Jr (2003). Corporate governance: decades of dialogue
and data, Academy of Management Review,
Vol. 28 No. 3, pp. 371-82.
(2)
Jensen, M. & Meckling, (1976), Theory of the firm: managerial behavior,
agency cost, and ownership structure, Journal
of Financial Economic, 1976, pp. 305-360.
(3) Ghoshal, Sumantra. (2005). Bad management theories are
destroying good management practices. Academy
of Management Learning and Education, 4(1), 75-91.
(4) Westphal, J.D. (1997), For Every Action, a reaction:
How CEOs deal with the loss of power in CEO/Board Relationships, Academy of
Management Proceedings.
(5) Westphal, J.D. 1998. Board games: How CEOs adapt to increases in structural board independence
from management. Administrative Science Quarterly, 43: 511-537.
Pour aller plus loin:
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