Le
31 mai dernier, j’avais le plaisir d’intervenir à Caen, auprès des managers du
Crédit Agricole, de KPMG et de Sodexo à l’occasion d’une soirée consacrée non
pas au sexe des anges mais à celui du leadership !
Humour + Femme = changement
Une
soirée pas comme les autres, puisque celle-ci débutait avec une performance de
Blandine Métayer, auteure d’un one woman
show intitulé : « je suis top ! », narrant avec
humour l’accession d’une femme au comité de direction de son entreprise. Je
m’attendais à rire, je fus aussi émue par l’histoire de cette femme qui tente
de trouver sa place entre comportements machistes et tentation de
l’auto-sabotage. Je fus également admirative du travail d’enquête et d’entretiens menée par
Blandine Métayer, conseillée par Brigitte Grésy, (!) pour écrire ce spectacle que l’on sent nourri du vécu des
femmes qu’elle a rencontrées mais également de la littérature sérieuse qu’elle
a su intégrer et mettre en scène avec une efficacité que lui envierait
n’importe quel enseignant en management !
Difficile
ensuite de venir parler des travaux scientifiques sur le leadership, mais pari
réussi si l’on en croit les retours enthousiastes du public !
Les femmes de pouvoir ne sont pas aimables
Mon
exposé a débuté avec ce reportage consacré à Sheryl Sandberg et surtout cette couverture
audacieuse de Time Magazine intitulée : « Ne la haïssez pas parce qu’elle a du succès ». Depuis quelques
mois, la N°2 de Facebook a en effet relancé le débat et nourrit les polémiques
autour des conditions d’accès des femmes au pouvoir ainsi qu’à la
reconnaissance et l’affirmation de leur leadership personnel. Ce titre de Time
Magazine fait non seulement référence aux critiques qui ont été adressées à
Sheryl Sandberg (tour à tour accusée d’être trop diplômée, trop riche, trop
visible, trop investie dans son travail au détriment de ses enfants, trop
donneuse de leçons, bref TROP….) mais également à une étude
de Franck Flynn, professeur de comportement organisationnel à Stanford, citée
par Sandberg dans son ouvrage, et qui montre qu’à parcours, compétences et
comportements identiques, un homme est jugé sympathique et reconnu comme un
leader tandis qu’une femmes est jugée désagréable et potentiellement
autoritaire. En effet, la question se pose : reprocherait-on à un
dirigeant d’entreprise masculin d’être diplômé de Harvard, d’être l’un des mieux payés
et des plus influents de sa génération, d’avoir investi beaucoup d’énergie dans
son travail et d’écrire un ouvrage parlant de leadership pour livrer ses conseils aux jeunes générations ? Du moins ne l’a-t-on jamais reproché à Jack
Welch qui vendit il y a 10 ans plus d’un million d’exemplaires de son subtil manuel de
leadership personnel: « Jack straight from the gut »
La théorie de la congruité/ l'incongruité
Ce
que met en lumière cette couverture consacrée à Sheryl Sandberg, c’est ce
qu’Alice Eagly (2002, 2007) spécialiste du genre et du leadership à l’université de
Northwestern appelle la théorie de l’incongruité. Selon elle, si le fait que
des femmes exercent du leadership pose problème et suscite de la méfiance,
c’est que ces dernières déclenchent chez chacun d’entre nous comme un sentiment
d’étrangeté. Une femme leader, qui a du pouvoir, cela nous parait incongru.
Cette incongruité, explique Alice Eagly vient de ce que le stéréotype du leader
et le stéréotype de genre (la femme) ne s’accordent pas. Il suffit de décrire
le contenu de chacun d’entre eux pour le comprendre. Plusieurs études (Rosener, 1995; Sczesny, 2003) ont ainsi
montré que lorsque nous pensons à la catégorie « homme » nous
associons des traits tels que la rationalité, la compétition, la force, l’affirmation
de soi, la décision, des traits que les psychologues qualifient « d’agentiques »,
c’est-à-dire centrés sur l’action individuelle. En revanche, lorsque nous
pensons à la catégorie « femme », nous associons des traits tels que
la beauté, la douceur, le soin, le sexe ( !), la considération, des traits
que les psychologues qualifient de « communaux » c’est-à-dire centrés
sur le dévouement à la communauté. Enfin quand nous faisons appel à la
catégorie mentale du leader (i.e. au stéréotype du leader), nous associons des
traits dont une majorité sont agentiques et partagés avec ceux du stéréotype
masculin.
Le syndrome de la femme à barbe
C’est
ce que j’appelle le syndrome de la femme à barbe. Dans un stand de foire ou elle joue les attractions, ou encore dans un bocal rempli de formol sur l' étagère d'un cabinet de curiosités: voici la femme de pouvoir. Le collectif féministe la barbe l’a bien compris qui
s’invite en postiche dans ces lieux de pouvoir où les femmes sont absentes sans que personne ne trouve cela « curieux »
ou « bizarre ». Pour ma part, j’ai souvent recours à cette inégalable
publicité sur les stéréotypes masculins, pardon sur les rasoirs pour hommes :
la perfection au masculin... La visionner, outre nous faire sourire, nous
rappelle qu’extirper les stéréotypes de genre de notre représentation du leader
est un service rendu au leadership, aux femmes mais également aux hommes qui n’en méritaient pas
tant, vraiment...
Alors que faire ?
Premièrement prendre conscience de la nature profondément genrée de notre conception du leadership, nous avons beau protester que non, les choses évoluent, étude après étude les chercheurs montrent que cette dimension demeure.
Deuxièmement, se tenir informer des études réalisées sur l'efficacité des leaders et des styles de leadership pour finalement découvrir que notre stéréotype du leader est loin, très loin, de réunir des traits et des comportements productifs lorsqu'il s'agit de d'engager et de motiver ses équipes. Ainsi, les chercheurs ont-il montré que l'un des comportements de leadership les plus efficaces est...la considération pour ses équipes (un trait typé comme féminin qui n’apparaît pas central dans notre stéréotype).
Troisièmement, se convaincre, qu'hommes et femmes ont tous intérêt à faire évoluer ensemble un stéréotype du leader qui n'a plus grande pertinence dans l'entreprise d'aujourd'hui qui expérimente les limites de l'autorité hiérarchique, de la rationalisation organisationnelle, du management par objectifs et de la normalisation des comportements. La mission commune: faire émerger le stéréotype du leader qui correspondra à notre époque globale, ouverte et métissée, un stéréotype inclusif qui permette à chacun d'être reconnu comme un leader potentiel et de s'imaginer comme tel
Quatrièmement, et puisque tout cela prendra du temps, commencer par quelques stratégies efficaces:
Première stratégie, désarmer le stéréotype de genre en mettant en avant son rôle professionnel par exemple ou une autre appartenance: une de mes amies qui exerce des responsabilité dans un univers très masculin (la finance) m'a dit un jour: "moi ce qui m'a servi, c'est que j'étais perçue avant tout comme une anglaise plutôt que comme une femme ! Il était donc tout à fait "normal" que je fasse des choses "bizarres" !
Autre stratégie qu'évoque Sheryl Sandberg dans son ouvrage : servir le stéréotype de genre en première instance pour créer un cadre familier et rassurant pour son interlocuteur. En d'autres termes, Mesdames, commencer par être gentille et aimable, mais ensuite....ne rien lâcher. C'est visiblement ce que fait cette dirigeante, qui ne vacille face à la critique, perchée sur des talons de 12 cm, à la tête d'une entreprise laboratoire des nouvelles pratiques de management.
Références
Eagly, A. H., & Carli, L. L. (2007). Through the labyrinth: The truth about how women
become leaders. Boston: Harvard Business School Press.
Eagly, A. H., & Karau, S. J. (2002). Role congruity theory of prejudice toward female
leaders. Psychological Review, 109, 573-598.
Rosener, J.B. (1995). « Sexual static », in
Rosener, J.B. America’s competitive
secret : Utilizing Women as a management strategy. Oxford University Press. 67-83.
Sczesny, S. (2003). A Closer Look Beneath the Surface:
Various Facets of the Think-Manager–Think-Male Stereotype, Sex Roles, Vol.
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