Ce mois-ci parait dans la revue Journal of Business Ethics, mon dernier article scientifique sur l'hubris des dirigeants d'entreprises, co-écrit avec Helen Bollaert, professeure de Finance à Skema Business School...
A noter: La Conférence spéciale sur l'hubris organisée par la Royal Academy of Medicine en octobre prochain à Londres...et qui en dit long sur l'actualité du sujet !
Quand l'ego du dirigeant conduit l'entreprise au bord du gouffre
Dans cet article, paru dans une revue d'éthique des affaires, nous abordons le leadership du dirigeant sous son aspect le plus négatif et démesuré, celui de l'hubris. L'hubris est un terme régulièrement utilisé par la presse anglo-saxonne pour désigner ces dirigeants, tels ceux d'Enron, de Bear Stearns, de Lehman Brothers mais aussi d'Apple ou d'Oracle, souvent très narcissiques, qui perdent le sens des réalités et de la mesure conduisant à l'échec ou à la faillite les entreprises dont ils ont la responsabilité. Mais au delà de cet usage managérial récent, l'hubris fait référence aux mythes grecs mettant en scène la perte du sens de la mesure chez l'homme: les mythes d'Icare ou d'Oedipe mettent ainsi en récit un héros défiant orgueilleusement le destin ou les dieux et qui se voit en retour sévèrement châtié...
Dans cet article, Helen Bollaert et moi-même faisons le point de la littérature et des recherches récentes sur l'hubris et plus largement les méfaits des pathologies de l'ego chez le dirigeant sur la réussite de l'entreprise. Des chercheurs en finance comme U. Malmendier et J. Tate , D. Hambrick, N. Hiller ou M. Hayward ont souligné son impact négatif sur la performance de l'entreprise, durant les opérations de fusions et acquisitions notamment (ils paient trop cher et les opérations sont moins réussies)
Malgré tout, ces travaux empiriques ne donnent aucune définition précise de l'hubris qu'ils associent de façon souvent très floue au narcissisme (un désordre de la personalité) ou à la surconfiance (un biais cognitif). Ils se contentent par ailleurs de souligner les effets négatifs, mais ne disent pas quelles conclusions pratiques en retirer (que faire?).
Helen et moi-même proposons, à notre modeste niveau, de contribuer à l'établissement d'une définition précise, distinctive et opératoire de l'hubris du dirigeant. Et plutôt que de dénoncer le cout potentiel de l'hubris du dirigeant, nous suggérons deux pistes de développement du leadership permettant aux dirigeants d'éviter cet écueil qui touche ceux exposés à un pouvoir très (trop) important....
Une définition de l'hubris du dirigeant
Nous proposons de définir l'hubris comme un phénomène qui touche ceux qui sont exposés à un pouvooir important, qui inclut à la fois des comportements pathologiques et éthiquement condamnables et qui s'exprime dans 3 relations: la relation du dirigeant avec lui-même, avec le sautres et avec son environnement.
Le tableau ci-dessous décrit les 5 dimensions de l'hubris selon nous.
Exemples de dirigeants souffrant d'hubris
Sentiment de grandiosité (narcissisme)
« Une
de mes collaboratrices a l’habitude de se moquer de moi en disant :
« Il voudrait être le premier patron canonisé ». (…) je ne dis
pas que, si la pratique du capitalisme prévoyait une telle forme de
reconnaissance, je ne serais pas tenter de postuler ! »
Jean-Marie Messier, J6M.com, 2000
Surestimation de ses capacités (surconfiance)
« Peut
être faudra-t-il du temps pour que le cours de Vivendi Universal reflète la
vraie valeur du groupe. Mais je sais que nos actionnaires ne seront pas déçus.
Dans l’intervalle, il n’y a qu’une chose à faire : prendre son bâton de
pèlerin sans relâche (…) l’objectif est toujours le même : convaincre les
actionnaires d’apporter leurs titres. Et si ce premier tour ne suffit pas, nous
en ferons un deuxième, un troisième. Sans état d’âme.”
Jean-Marie
Messier, J6M.com, 2000.
Sentiment d'être le seul compétent pour le poste
« Je
me sens engagé à devoir continuer (…) Je ne vois pas en Italie une personnalité
capable de représenter les intérêts du pays comme je le fais »
Sylvio Berlusconi,
4/11/2011
Sentiment d'être au dessus/plus fort que les autres
Antoine
Zacharias, Ex PDG de Vinci (1997-2006), reconnu coupable en mai 2011 d’abus de pouvoir pour avoir
évincer 3 membres du comité de
rémunération qui s’opposaient alors au déplafonnement de son salaire.
Sentiment d'être au dessus/plus fort que les lois
"Il nous faut comprendre que si le marché a tujours raison, il n'a pas raison tous les jours.
Jean-Marie
Messier, La Tribune, 2002
Jean-Marie
Messier, J6M.com, 2000.
Deux pistes pour éviter l'hubris
Dans une seconde partie, nous suggérons deux pistes d'actions aux dirigeants qui souhaitent éviter l'hubris. Pour les découvrir, il vous faudra consulter notre article !
Références:
- Petit, V. & Bollaert, H. (2012). Flying too close to the sun: Hubris among CEOs and how to prevent it, Journal of Business Ethics, 108(3): 265-283.
- Malmendier, U., & Tate, G. (2008).Who
makes acquisitions? CEO overconfidence and the market’s reaction. Journal of Financial Economics, 89(1),
20–43.
- Hayward, M. L. A., & Hambrick, D. C.
(1997). Explaining the premiums paid for large acquisitions: Evidence of CEO
hubris. Administrative Science Quarterly,
42, 103–127.
- Messier, J.-M. (2000). J6M.Com. Paris: Le Livre de Poche.
- Messier, J-M. (2002). Jean-Marie Messier, Ennemi du
Spéculateur. La Tribune, 7 février 2002.
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